Quand Amundi avale Lyxor : une fusion à la truelle

Dans le petit monde feutré de la gestion d’actifs, la fusion entre Amundi et Lyxor avait tout d’un mariage de raison : d’un côté, le colosse Amundi, premier gestionnaire d’actifs européen, bien décidé à se gaver encore un peu plus sur le marché juteux des ETF. De l’autre, Lyxor, ex-filiale de Société Générale, dont la spécialité dans les produits indiciels et alternatifs en faisait un beau morceau à digérer.

L’opération, officialisée en 2021 pour 825 millions d’euros, devait créer un champion européen, renforcer l’offre d’ETF maison et simplifier la vie de tout le monde. Deux ans plus tard, dans les couloirs d’Amundi, on en rigole jaune : intégration chaotique, démissions en cascade, clients déboussolés… Bref, un cas d’école de fusion où tout se passe comme prévu, sauf ce qui devait se passer comme prévu.


Quand deux cultures se percutent, ça fait des étincelles

Sur le papier, l’affaire paraissait simple : prendre les 142 milliards d’euros d’encours de Lyxor, les fusionner avec ceux d’Amundi ETF et rafler la mise. Mais comme souvent, les financiers oublient que les chiffres ne suffisent pas à souder des équipes.

Car entre Lyxor et Amundi, ce n’est pas qu’une question de balance comptable, c’est un choc de civilisation. D’un côté, Lyxor, la “start-up” de la Société Générale, réputée pour ses innovations, sa souplesse, son goût du produit financier pointu, et un management plutôt horizontal. De l’autre, Amundi, structure hiérarchisée à la rigueur toute bancaire, où la lenteur administrative est élevée au rang d’art. Résultat ? Une greffe qui ne prend pas.

Les équipes de Lyxor ont vite compris que leur créativité allait être aussi bien accueillie qu’un trader high-frequency dans un monastère. L’encadrement d’Amundi, peu enclin à laisser trop d’autonomie, a imposé des process rigides, dénaturant l’agilité qui faisait la force de Lyxor. Résultat : fuite massive des talents. Entre fin 2021 et 2023, de nombreux experts ETF ont quitté le navire, certains rejoignant des concurrents comme BlackRock ou DWS, où l’ambiance est certes moins feutrée, mais où les décisions ne mettent pas six mois à être validées.


Clients perdus dans la jungle des gammes

Autre sujet de crispation : la simplification des gammes. Car en fusionnant deux catalogues d’ETF, il a bien fallu faire du tri. Sauf que ce tri s’est parfois fait au chausse-pied, avec des suppressions ou des absorptions de fonds qui ont laissé plus d’un investisseur perplexe.

Exemple frappant : la disparition de certains ETF phares de Lyxor au profit de leurs équivalents Amundi, parfois moins liquides ou plus chers. Un cas emblématique a été l’absorption du Lyxor MSCI World UCITS ETF dans son homologue Amundi, avec des écarts de frais et de performance qui n’ont pas manqué de faire tiquer les clients professionnels.

Même chaos du côté des ETF synthétiques, une spécialité de Lyxor, qui ont été progressivement marginalisés au profit des ETF physiques préférés d’Amundi. Certes, la réplication synthétique souffre d’une image plus opaque, mais elle permettait aussi d’éviter des biais sectoriels et fiscaux… Pas sûr que tous les investisseurs aient apprécié la manœuvre.


Une intégration qui pèse sur les performances

Et si encore tout cela avait permis à Amundi d’écraser la concurrence… Mais non. Car pendant que les équipes étaient occupées à fusionner des bases de données et à se battre sur les procédures internes, les concurrents, eux, n’ont pas attendu.

Résultat : sur le marché des ETF en Europe, Amundi, bien que solidement installé sur le podium, reste loin derrière BlackRock et Vanguard, qui continuent de capter l’essentiel des flux entrants. Pire encore, Amundi peine à séduire les investisseurs particuliers, un marché crucial où la croissance est la plus forte.

En parallèle, la fusion a pesé sur la dynamique d’innovation. Lyxor était connu pour lancer des produits originaux, collant aux tendances du marché (ETF thématiques, stratégies alternatives, solutions ESG pointues). Depuis la fusion, peu de nouveautés marquantes, et les lancements d’ETF semblent avoir pris le rythme d’un comité de direction en pleine digestion.


Moralité : fusionner, c’est bien… digérer, c’est mieux

En 2021, Amundi s’imaginait en titan européen des ETF, avalant Lyxor d’une bouchée et renforçant son emprise sur le marché. Deux ans plus tard, la réalité est plus nuancée : des talents qui fuient, des clients qui râlent, et une croissance qui stagne face à des concurrents plus agressifs.

Alors oui, Amundi reste un poids lourd, et la fusion lui a permis d’élargir son empire. Mais la leçon est claire : racheter une boîte, c’est une chose, la comprendre et la faire vivre intelligemment, c’en est une autre.

Pour l’instant, l’intégration de Lyxor ressemble moins à une conquête qu’à une longue gueule de bois post-fusion. Reste à voir si Amundi trouvera enfin son Alka-Seltzer.